Quand un camp de ski révèle le métier d’enseignant

Joaquim Sieber

Comme le rôle de parents, le métier d’enseignant est un métier ingrat, en particulier lorsque comme à Rivendell, nous cherchons explicitement à accompagner les élèves dans la construction de leur caractère. Enseigner des savoirs, c’est déjà quelque chose, et cela prend son temps; mais travailler le caractère, c’est encore une autre réalité, qui touche des mécanismes bien plus profonds, mobilisant des émotions fortes, des questions identitaires, des habitudes bien ancrées, des croyances solidement enracinées et il faut plusieurs mois, parfois des années, pour que le caractère mature et que ce soit pleinement visible.

L’enseignant accompagne l’enfant dans la préparation de la terre de son jardin : nous l’aidons à arroser patiemment, nous traquons avec lui les limaces (mésestime, défaitisme, peur, injustice) et les mauvaises herbes (rancœur, vengeance, égoïsme). Lorsque la pousse apparaît, nous enseignons comment en prendre soin et l’aider à grandir pour qu’elle puisse devenir un arbre solide. Mais il est rare que nous ayons l’occasion de voir la joie de nos élèves lorsqu’ils récoltent les fruits de leur travail, cela parce que l’arbre n’arrive à maturité qu’après leur passage dans nos classes.

L’enseignant qui travaille pour l’argent, la reconnaissance ou le profit immédiat déchante et je l’espère, change bien vite de métier, parce que ces motivations ne peuvent pas l’amener à être un bon enseignant. Nos motivations sont différentes, elles ne s’attachent pas au court terme, nous cherchons à voir loin, très loin. Nous travaillons ainsi au jour le jour, sur la distance et dans la continuité, affrontant avec nos élèves les habitudes, les routines, les répétitions, les échecs, cela en ayant en vue l’apprentissage de la persévérance, de l’abnégation, de la ténacité. Ces apprentissages-là se font loin de la gloire, dans la boue et le froid et restent dans l’ombre des victoires, auxquels ils ont pourtant largement contribué.

Certes, Rivendell est une école différente, avec un rythme soutenu de changements, de surprises et d’imprévu. Ce combo explosif tient en haleine et fait chaud au cœur, rassasiant un penchant naturel pour la nouveauté, le mouvement, l’aventure. Mais même mis bout à bout, ces moments qui sortent de l’ordinaire ne représentent qu’une infime partie de notre temps, lequel reste profondément familier, sobre, quotidien. Devant les événements de la vie, l’enseignement paraît insignifiant, dérisoire, banal. Au final, peut-être est-ce là une réalité profonde de notre métier, et Dieu sait que nous l’aimons et que nous y renoncerions pour rien au monde. Un enseignement sans cesse retentissant, exceptionnel, spectaculaire ou sidérant, ce n’est pas de l’enseignement, c’est du show, du spectacle, et cela n’amène pas la même profondeur d’apprentissage ni ne touchent les mêmes réalités.

Vient soudain un camp de ski, qui rassemble en lui-même l’exceptionnel, l’extraordinaire et le sensationnel. C’est un moment de vérité, où peut arriver le meilleur comme le pire, où se testent le caractère et la maturité de chacun, où tous se découvrent les uns aux autres plus vulnérables. Or, ce camp de ski a été un de ces moments magiques, si précieux, où les progrès se matérialisent soudain aux yeux de tous, où le travail et la persévérance deviennent si réels qu’ils en sont palpables.

Durant ces cinq jours de vie commune, vos enfants ont fait preuve d’une qualité de caractère qui fait plaisir à voir, qui prouve que leur maturité grandit et que malgré leurs défauts (si, si, ils en ont quand même quelques-uns) ils sont pleins de bonne volonté. Nous avons vu la solidarité prendre le dessus sur l’égoïsme, nous avons vu les grands prendre soin des plus petits, nous avons vu la joie gagner sur la morosité.

Nous avons vu vos enfants faire les bons choix, systématiquement, petits choix après petit choix, le matin en se levant, la journée dans les situations quotidiennes, le soir en allant se coucher. Nous avons vu vos enfants demander pardon et pardonner, prendre soin les uns des autres, et mettre une ambiance de fête dans notre chalet.

Durant ce camp, vos enfants nous ont montré à tous, parents et enseignants, que nous avons raison de leur faire confiance et d’investir dans leur vie, et que la construction de leur caractère est en bonne voie.

Tout n’était pas parfait, bien sûr. Mais nous ne cherchons pas la perfection. Nous ne cherchons pas à ce que le jardin de votre enfant soit parfait et qu’il en jette aux yeux de tous, et que tous viennent dire que votre éducation et notre école sont géniales. Non, nous travaillons pour que votre enfant sache chercher et trouver ce qu’il veut comme jardin parmi l’infinité des possibilités, pour qu’il choisisse quelles plantes il veut y mettre et qu’il soit capable de les faire pousser et d’en prendre soin. Ces connaissances ne peuvent s’acquérir que par une succession d’expériences, qui mènent à plus ou moins de succès, et à partir desquelles l’élève peut (ou pas) tirer des conséquences, jusqu’à ce qu’il comprenne la loi naturelle immuable :  on récolte ce que l’on sème. Indéniablement, ce processus d’apprentissage par essais-erreurs n’a que peu de chance (en réalité aucune) de rendre un jardin parfait. Une question demeure : comment avons-nous pu faire l’erreur de croire que la perfection humaine a quelque chose à voir avec la beauté telle que Dieu la définit ? Il n’y a aucune commune mesure entre elles.

Joaquim

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